[CIR] Les dernières jurisprudences
Dotations aux amortissements : éligibilité des matériels informatiques non essentiels mais liés à des biens utiles aux projets R&D
- Dans une décision récente, la Cour Administrative d’Appel (CAA) de Versailles a jugé que le matériel informatique rattaché à des ordinateurs et serveurs valorisés pour le CIR mais non essentiel à leur fonctionnement, dans ce cas un contrôleur baie de disques et deux commutateurs réseaux (Switch Cisco-SFOC11704W 2S8 et 2SK), sont également valorisables, à la même hauteur (CAA Versailles, N° 18VE03123, 28/05/2020, SA Genfit). Cette décision fait suite à l’arrêt du Conseil d’Etat du 25/02/2018 qui avait ordonné la réintégration de tels actifs.
Travaux externalisés : co-traitance et sous-traitance en cascade
- Dans le cadre d’une collaboration entre ces deux sociétés, la CAA de Versailles a jugé que les sommes perçues par la SA Genfit (agréée CIR) de la part de Sanofi-Aventis doivent être déduites de son assiette CIR, bien qu’il s’agisse ici de co-traitance comme le reconnait la cour, et non de sous-traitance au sens strict. En effet, la SA Genfit prenait notamment à sa charge une part des efforts et des risques et pouvait bénéficier d’une fraction des résultats et des droits nés des opérations confiées. Mais en se référant aux contrats entre les deux partenaires, les juges en ont tiré la conclusion que Sanofi-Aventis avait externalisé la réalisation d’opérations de recherche, dont elle entendait bénéficier des résultats, en contrepartie d’une somme déterminée (CAA Versailles, N° 18VE03123, 28/05/2020, SA Genfit).
- Dans cette affaire jugée par la CAA de Nancy, la société Aston Itrade Finance a confié à la SA Kutta, qui était agréée CIR, des opérations de recherche. La SA Kutta avait elle-même sous-traité la réalisation de l’essentiel des travaux à des intervenants extérieurs non agréés. Selon les juges, c’est à bon droit que la société Aston Itrade Finance a retenu les dépenses de la SA Kutta dans son propre CIR, car il n’est pas contesté que cette dernière a assumé la direction et la responsabilité scientifique et contractuelle de ces opérations (CAA de Nancy, N° 19NC00636, 23/07/2020, SAS Aston Itrade Finance).
- Le Conseil d’Etat a déjugé une décision de la CAA de Paris, arrêt qui avait pourtant motivé les députés à limiter la sous-traitance en cascade dans le CIR en légiférant (article 132 de la loi de finances 2020). Rappel des faits : des sociétés clientes avaient demandé à la société HP, organisme agréé, de réaliser des travaux R&D. HP avait confié ces opérations à des entités du même groupe, HPS et HPC, non agréées. HPC et HPS avaient retenu dans leur propre CIR les travaux qu’elles avaient réalisé et refacturé à HP, tandis que les clients avaient également retenu les dépenses facturées par HP pour ces mêmes travaux. Il en ressortait une double prise en compte pour des mêmes travaux de recherche. Le Tribunal de Paris puis la CAA de Versailles avaient jugé que HPC et HPS ne pouvaient prétendre retenir ces dépenses, seul le donneur d’ordre (les clients) y ayant droit selon ces juges.
La haute juridiction estime que seule l’entreprise qui expose les dépenses de recherche qu’elle effectue, que ce soit pour son propre compte ou pour le compte d’une autre entreprise, peut prétendre bénéficier du CIR pour ces activités. Et dans le cas présent, la circonstance que HPC et HPS aient réalisé des travaux pour le compte d’une entreprise agréée n’est pas de nature à les empêcher de profiter du CIR, sauf à ce que l’administration invoque un montage frauduleux (ce qui n’a pas été le cas ici). La société mère du groupe HP est donc fondée à soutenir l’annulation de l’arrêt de la CAA (Conseil d’état, N°427441, 09/06/2020, Groupe Hays France ; CAA Paris, 29/11/2018, N° 18PA00276, Groupe Hays France).
Remboursement du CIR à la filiale d’un groupe (cas de la société mère en liquidation) :
- Dans le cas d’un groupe fiscalement intégré, la CAA de Lyon rappelle que seule la société mère peut demander la restitution de la créance de CIR pour les sociétés du groupe, ou doit en donner mandat à la filiale qui dépose une telle demande. Dans le cas qui nous intéresse ici, la société mère a été mise en liquidation, et c’est sa filiale qui a présenté la demande de restitution du CIR sans mandat. En l’absence de ce mandat, la cour a refusé d’accorder la restitution de CIR à la société. Le fait que la lettre de demande de restitution mentionne la validation par le tribunal de commerce de la reprise des activités de la société mère par une autre société, incluant le crédit impôt recherche, n’a pas été en mesure de convaincre les juges. Pas plus que la production en appel d’un protocole d’accord transactionnel donnant mandat à la filiale pour réclamer la créance. Pour être recevable, un tel élément aurait dû être produit devant le tribunal (CAA de Lyon, N° 19LY00327 et 19LY00329, 06/08/2020, SAS Peinta).
Eligibilité des projets de recherche
- La valorisation de travaux sur des problématiques économiques et commerciales et de sciences humaines et sociales doit faire l’objet d’une attention particulière, étant difficile de démontrer la présence d’incertitudes et de verrous scientifiques, techniques ou conceptuels. Sur ce sujet, la CAA de Versailles a par exemple jugé que des travaux de stratégie commerciale (définition d’une nouvelle stratégie de gouvernance d’un réseau de franchise) n’étaient pas éligibles au CIR, arguant notamment qu’ils se « limitent à des opérations de mise en œuvre de [leur] stratégie commerciale ». En particulier, l’état de l’art produit consiste en une synthèse à caractère général d’études socio-économiques existantes menées sur le dispositif de la franchise et non en un état de l’art de connaissances scientifiques ou techniques. Les verrous présentés s’apparentaient à des objectifs communs à tout professionnel du secteur repensant sa stratégie commerciale. Les travaux se limitaient à la mise en place d’offres de services financiers aux franchisés, d’aides à la vente innovantes et à de la formation (CAA Versailles, N°18VE02640, 28/05/2020, SAS AFFLELOU).
- Le déclarant doit pouvoir démontrer que les travaux réalisés dépassent l’utilisation et l’adaptation de technologies existantes et qu’ils présentent un caractère de nouveauté et/ou permettent une amélioration substantielle de performances. Une décision récente de la CAA de Versailles a ainsi invalidé la demande de CIR de la société IT SERVICES dans le cadre du développement d’avertisseurs de radars du fait de l’absence de preuve qu’ils dépassaient l’état de l’art, IT SERVICES précisant que « les avancées technologiques sont tenues secrètes dans son secteur d’activité », l’état de l’art étant limité et non accessible selon elle (rappelons que le BOFIP BOI-BIC-RICI-10-10-10-20 § 90 mentionne que « l’état des techniques existantes est constitué par toutes les connaissances accessibles au début des travaux de R&D et utilisables par l’homme du métier normalement compétent »).
Un autre projet mené par cette entreprise n’a pas abouti du fait de difficultés scientifiques insurmontables. La cour, jugeant que le développement du nouveau produit n’ayant pas été mené à son terme, et les travaux ne concrétisant pas la levée de verrous techniques, les travaux n’entraient pas « dans le champ des activités ayant le caractère d’opérations de développement expérimental ». Rappelons que même en cas d’échec technologique d’un projet, il convient de démontrer l’acquisition de connaissances par rapport à l’état de l’art (CAA de Versailles, N°18VE01601, 22/06/2020, société IT SERVICES).
Chiffrage : bien rapprocher le montant de CIR par projet
- Dans le cadre de la remise en cause de l’éligibilité d’un projet par un expert du MESRI, la CAA de Versailles semblait se laisser convaincre par un rapport commandé par l’entreprise auprès d’un professeur, précisant qu’il était documenté, argumenté et circonstancié. Toutefois, en l’absence d’un chiffrage individualisé par projet, la société déclarante ne pouvait prétendre au remboursement du CIR, d’autres projets n’étant pas éligibles, la cour ne pouvant faire la part entre les projets potentiellement éligibles et ceux non valorisables (CAA Versailles, N°18VE03180, 28/05/2020, SAS LEGAL SUITE). Il est relativement rare de constater qu’un rapport commandé par la société convainc les juges, même si cela n’a pas été suffisant pour que la demande aboutisse.
Paiement d’intérêts moratoires : l’administration doit respecter le délai de 6 mois pour rembourser les créances
- Lors de deux décisions récentes, les CAA de Nantes et Paris ont toutes deux jugé comme recevable la demande de paiement d’intérêts moratoires lorsque l’administration verse le CIR réclamé plus de 6 mois après l’instruction. Ces intérêts courent à compter de la date de la réclamation qui fait apparaître le crédit remboursable. (CAA de Nantes, N°18NT03291, 02/07/2020, Groupe ESA ; CAA de Paris, N°19PA02636, 24/06/2020, société Palo It).