Échanges autour du CIR au Sénat
Suite à la remise du rapport sur l’innovation et la performance industrielle en France, dont nous avons repris l’essentiel concernant le CIR, le Sénat a conduit des échanges le 6 octobre sur les conclusions de ce dernier.
Voici l’essentiel des échanges autour du CIR, durant lesquels seul le Ministre délégué de l’Economie s’est hissé en défenseur du dispositif.
Mme Vanina Paoli-Gagin, rapporteur de la mission d’information, sénatrice rattachée RTLI
La crise sanitaire puis la guerre en Ukraine ont mis en relief les fragilités de notre économie. La patrie de Pasteur n’a pas su trouver un vaccin contre la Covid.
Nous ne faisons plus partie des États leaders de l’innovation. Serions-nous donc condamnés à fournir à d’autres des innovations bon marché qui nous reviennent sous forme d’importations dégradant notre balance commerciale ? Ce n’est pas ce que nous souhaitons.
Pour sortir de l’impasse, le groupe INDEP a demandé la création de cette mission d’information, dont les conclusions ont été adoptées à l’unanimité.
Nous avons constaté un paradoxe : notre pays investit massivement pour l’innovation, mais nos performances industrielles ne sont pas à la hauteur.
Nous nous sommes efforcés de veiller à l’efficacité de la dépense publique et au caractère opérationnel des mesures.
Seule une action coordonnée de l’exécutif, du Parlement et des acteurs privés nous permettra de relever les défis. Le Parlement, en particulier, a un rôle majeur à jouer, s’agissant notamment des incitations fiscales, qui représentent deux tiers des dépenses de soutien à l’innovation.
Le crédit d’impôt recherche (CIR), qui s’élève à 6,6 milliards d’euros, est d’une efficacité inversement proportionnelle à la taille des bénéficiaires : le même euro dépensé produit une dépense de recherche et d’innovation de 1,40 euro dans une PME, mais de seulement 0,40 euro dans un grand groupe.
Or, le CIR est accaparé par les grandes entreprises : les 10 % de bénéficiaires les plus importants en captent 77 % et les 100 plus importants à eux seuls 33 %. Cette situation de rente n’est plus tenable. Après le « quoi qu’il en coûte » et le « combien ça coûte », monsieur le ministre, je suggère que nous passions au « mieux qu’il en coûte ».
Nous proposons de renforcer l’efficacité du CIR par des ajustements à la marge. Ainsi, la suppression du taux de 5 % au-delà de 100 millions d’euros de dépenses permettrait, selon l’économiste Xavier Jaravel, de réorienter 750 millions d’euros vers les PME, PMI et ETI.
On nous opposera peut-être le risque de délocalisation de grands groupes. Je m’insurge contre ce chantage à l’emploi. Les investisseurs ont d’autres très bonnes raisons de choisir la France : nos entreprises s’inscrivent dans des écosystèmes innovants et peuvent s’appuyer sur une recherche de qualité et – faut-il s’en réjouir ? – bon marché.
Nous proposons aussi de calculer le plafond du CIR au niveau de la holding de tête pour les groupes intégrés. C’est une question d’équité fiscale. L’économie réalisée serait supérieure à 500 millions d’euros par an, selon le Comité Richelieu.
Si nous proposons ces ajustements au nom de l’efficacité de la dépense publique, je tiens à lever tout malentendu : nous soutenons la sanctuarisation du CIR.
Mme Gisèle Jourda, sénatrice Socialiste, Écologiste et Républicain
S’agissant du CIR, il faut mettre un terme aux pratiques d’évasion et d’optimisation fiscales.
Mme Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice groupe communiste républicain citoyen et écologiste
Il est essentiel de mettre en œuvre les propositions de ce rapport et de revivifier le terreau de l’innovation, mais aussi de réformer radicalement le CIR.
M. Jean-Pierre Moga, sénateur Union Centriste
En ce qui concerne le CIR, je partage les propos de Mme la rapporteure.
L’impôt sur les sociétés ayant fortement baissé, le CIR peut être recalibré au bénéfice des entreprises qui en ont le plus besoin. Il faut également instaurer un coupon recherche-innovation pour les PME.
M. Serge Babary, sénateur Les Républicains
Le rôle singulier des PME et des ETI dans l’innovation est essentiel.
Les aides fiscales et financières sont aussi importantes. Le CIR est inéquitable, car il laisse de côté la plupart des PME : 77 % du dispositif bénéficie à 10 % des entreprises.
M. Roland Lescure, ministre délégué
J’en viens à notre point de désaccord : le CIR. On peut sans doute faire mieux et l’optimiser davantage. Mais ne le touchons qu’avec une main tremblante, car il est extrêmement bien identifié à l’international. Beaucoup d’entrepreneurs français qui réussissent en Amérique du Nord viennent installer leur laboratoire en France grâce au CIR.
Modifier les modalités du CIR au-delà de 100 millions d’euros, ce n’est pas la solution. Le CIR fait partie de l’image de marque de la France dans le monde entier, il faut de la stabilité.
M. Christian Redon-Sarrazy, président de la mission d’information, sénateur groupe Socialiste, Écologiste et Républicain
Cette mission d’information s’est penchée sur un sujet qui nous préoccupe tous, quelle que soit notre couleur politique.
Le CIR a été au coeur des débats. Faut-il maintenir une rente de situation que nous avons dénoncée et qui fait l’objet de critiques régulières ? Nos propositions ne le modifieront qu’à la marge, il restera le dispositif fiscal le plus généreux en Europe pour financer la R&D. Il sera encore plus généreux à l’avenir, et plus efficace, grâce au nouveau calcul du plafond pour les entreprises qui pratiquent l’intégration fiscale.
L’argument de la stabilité fiscale ne tient pas. Non seulement le contexte fiscal des entreprises a changé, mais le CIR n’a pas évolué depuis quatorze ans.
Les études économétriques montrent qu’une révision du CIR s’impose pour garantir l’efficacité de la dépense publique.