[Jurisprudence CIR] Éligibilité des projets et des dépenses valorisées au titre du CII
Le crédit d’impôt innovation (CII), dispositif introduit en 2013, commence à faire l’objet de jurisprudence. La CAA de Paris a en effet rendu le 08 novembre 2023 un arrêt sur le dispositif, qui permet d’en préciser plusieurs aspects dans la mesure où il aborde tant des questions de procédure que des sujets de d’éligibilité des projets et des dépenses.
Les faits
Le litige porte sur un projet de conception d’une » usine à sites e-commerce » permettant à ses clients de bénéficier, à travers la mise à disposition d’un tronc commun de fonctionnalités, d’un cadre unique et simplifié de création et de gestion de plusieurs sites internet, développé par la société Antilop.
Ce projet est divisé en trois axes : » Axe 1 : Conception et développement de l’architecture « , » Axe 2 : Conception et développement des fonctionnalités innovantes » et » Axe 3 : Optimisation des performances techniques « .
Seules certaines des dépenses relatives à l’axe 2 de ce projet ont été considérées par l’administration comme ouvrant droit au crédit d’impôt innovation (CII).
Pour rappel, le CII est une mesure fiscale prévue au k du II de l’article 244 quater B du code général des impôts (CGI). Elle permet aux PME de bénéficier d’un crédit d’impôt de 30% (taux applicable depuis 2023) des dépenses nécessaires à la conception de prototypes ou d’installation pilotes de produits nouveaux.
La société requérante demande à la CAA de Paris la restitution des CII pour les années remises en cause (2016 à 2019) ainsi que la mise en place d’une médiation judiciaire pour l’ensemble des crédits d’impôt en litige.
À l’appui de sa requête, elle soutient notamment que :
- L’ensemble des trois axes de son projet, qui sont indissociables, est éligible au CII ;
- Les salaires versés à du personnel dont la valorisation a été remise en cause par l’administration sont également éligibles dès lors que ces personnes sont affectées à la réalisation d’opérations de conception de prototypes au sens du II de l’article 244 quater B CGI ;
- Le rejet des dépenses de personnel ne peut être légalement fondé sur l’article 49 septies G de l’annexe III CGI (qui présente les personnels de recherche éligibles au CIR), celui-ci n’étant pas applicable en matière de CII ;
- L’expertise n’a pas porté sur l’année 2019, qui a vu le développement d’un produit nouveau ;
Le jugement de la Cour
- Sur l’éligibilité au CII des axes 1 et 3 du projet
La Cour rappelle que l’expert mandaté par l’administration a relevé que seul l’axe 2 » Conception et développement des fonctionnalités innovantes » était éligible à raison du caractère innovant de la fonctionnalité de gestion des abonnements, et que la requérante confirme que le caractère innovant de son projet réside essentiellement dans cette fonctionnalité.
Par ailleurs, elle considère qu’il ne résulte pas de l’instruction, en l’absence notamment de tout élément autre que ses déclarations produit par la requérante, que les axes 1 et 3 de son projet constitueraient des opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits.
Elle juge donc que la société Antilop n’est pas fondée à demander que les dépenses afférentes à ces opérations soient prises en compte pour la détermination de ses droits au CII.
- Sur les dépenses de personnel
La société requérante soutient que le fait que l’administration se fonde sur l’absence de diplôme d’ingénieur pour écarter les rémunérations versées au personnel remis en cause constitue l’ajout d’une condition non prévue par l’article 244 quater B CGI ainsi que l’application de l’article 49 septies G de l’annexe III CGI, qui ne concerne que le CIR.
La Cour juge que, si la possession d’un diplôme d’ingénieur n’est pas une obligation prévue par la loi fiscale, son absence conjuguée à celle de tout autre élément justificatif que la société requérante aurait pu apporter était bien de nature à considérer que la participation directe et exclusive de ces personnes aux opérations de conception n’était pas établie.
- Sur les dotations aux amortissements et les dépenses de fonctionnement
Outre les dépenses de personnel affecté à la réalisation des opérations de conception, le CII permet également de retenir :
- Les dotations aux amortissements des immobilisations créées ou acquises à l’état neuf et affectées directement aux opérations de conception de prototypes ou installations pilote de nouveaux produits ;
- Les frais de prise de brevets et de certificats d’obtention végétale ainsi que les frais de dépôt de dessins ;
- Les frais de défense des brevets et dessins ;
- Les dépenses externes, confiées à des entreprises ou bureaux d’étude agréés.
Les dépenses de fonctionnement étaient aussi éligibles dans la version de l’article 244 quater B CGI applicable au litige (ce n’est plus le cas depuis 2023).
Il est ici question des dotations aux amortissements et des dépenses de fonctionnement.
Pour soutenir qu’elle a droit à obtenir un crédit d’impôt supplémentaire correspondant aux dotations aux amortissements et aux dépenses de fonctionnement exposées pour son projet innovant sur la période en litige, la société requérante fait valoir que le crédit d’impôt correspondant à ces dépenses est calculé sur la base des dépenses de personnel éligibles.
La Cour indique qu’il résulte du k) du II de l’article 244 quater B CGI que seules les dotations aux amortissements que le contribuable justifie avoir effectivement affectées directement à la réalisation d’opérations de conception de prototypes ou installations pilotes de nouveaux produits peuvent ouvrir droit au CII, sans que soit pris en considération le montant des dépenses de personnel. Par suite, la requérante ne justifie pas, par la seule référence à ses dépenses de personnel, que l’administration aurait omis de prendre en compte des dotations aux amortissements éligibles.
Concernant les dépenses de fonctionnement, la Cour rappelle que, selon les dispositions en vigueur au cours des années en litige, le crédit afférent à de telles dépenses est fixé forfaitairement en proportion de ses dotations aux amortissements et de ses dépenses de personnel. Dans la mesure où la société requérante ne justifie pas que des dotations aux amortissements et des dépenses de personnel supplémentaires auraient été à tort considérées comme non éligibles au CII, elle ne peut pas davantage prétendre à valoriser des dépenses de fonctionnement.
- Sur la procédure de contrôle
La Cour juge que la circonstance que l’expertise de l’administration n’ait pas porté sur les dépenses engagées au cours de l’année 2019 est sans incidence sur les droits de la société requérante dans la mesure où :
- Cette expertise n’est qu’une simple faculté ;
- Il résulte de l’instruction que l’administration a pris en compte les compléments d’informations qui lui ont été transmis par la requête concernant l’année 2019.
Par conséquent, la CAA rejette la requête de la société.
Analyse
Le CII repose sur la réalisation de prototypes avec des fonctionnalités, un design, des performances, différentes du marché.
Dans le cas d’un projet découpé en plusieurs axes, il est essentiel d’être en mesure de démontrer le caractère innovant de chacun d’entre eux séparément, et indépendamment des liens de dépendance qu’ils entretiendraient, par des éléments justificatifs précis.
Il est attendu la même précision dans les justifications du rattachement des dépenses valorisées aux opérations de conception.
Source : CAA de PARIS, 08 novembre 2023, SAS Antilop, 21PA06563