[Jurisprudence CIR] Éligibilité d’un projet découpé en sous-projets par l’administration
La Cour administrative d’appel de Toulouse, dans trois arrêts du 25 avril 2024 (CAA de Toulouse, 25 avril 2024, Kaliop Group, 22TL21030, 22TL21031, 22TL21032), remet en cause le découpage par l’administration d’un projet unique en sous-projets. Ce qui est l’occasion de rappeler que sont éligibles toutes les activités indispensables à la réalisation d’opérations de recherche éligibles, dès lors que leur indissociabilité avec ces opérations est démontrée.
Les faits
La société Kaliop Group, société mère d’un groupe dont l’activité est la fourniture de solutions numérique de gestion multi-contenus dans le domaine de la communication numérique, demande une restitution complémentaire de CIR au titre de l’année 2017.
Son CIR avait été remis en cause par l’administration à raison d’un projet commun réalisé avec ses filiales, intitulé « Développement expérimental d’un outil générique d’aide à la création d’applications multi-protocoles », dont l’éligibilité n’a été admise que partiellement après expertise de la délégation régionale de la recherche et de la technologie (DRRT).
En l’espèce, l’expert de la DRRT a découpé le projet en quatre sous-projets, alors que la société l’avait à l’origine présenté comme un projet unique reposant sur quatre axes de réflexion.
À la suite de ce découpage, il n’a retenu l’éligibilité que de deux sous-projets.
La société requérante soutient que les travaux réalisés dans le cadre des sous-projets rejetés par l’administration sont indissociables, au sens de nécessaires et indispensables, des autres sous-projets dont l’éligibilité a été admise.
Le jugement de la Cour
La Cour juge que l’expert de la DRRT s’est borné à analyser l’éligibilité des quatre sous-projets pris isolément, sans se prononcer sur l’éventuelle indissociabilité des travaux réalisés au sein des différents sous-projets ni sur le caractère nécessaire des travaux des sous-projets remis en cause aux opérations dont la qualification de développement expérimental a été reconnue pour les autres sous-projets.
Au vu des explications « précises et circonstanciées » de la société requérante quant aux interactions entre les quatre sous-projets et à l’absence d’avis de l’expert sur l’éligibilité des sous-projets contestés à raison de leur caractère nécessaire aux opérations de développement expérimental réalisées par la société, la Cour juge qu’elle n’est pas en mesure de statuer en l’état sur le projet tel que découpé par l’expert du MESRI.
Elle ordonne donc une expertise contradictoire entre les parties, portant sur les travaux des sous-projets rejetés par l’administration fiscale et les liens qu’ils entretiennent avec ceux qui ont été considérés comme éligibles.
Analyse
Il ressort de cet arrêt que, sont éligibles les activités constituant des opérations de recherche scientifique ou technique au sens des dispositions des articles 244 quater B et 49 septies F du code général des impôts (CGI), mais une fois cela identifié, sont également éligibles toutes les activités nécessaires pour mener ces activités à bien.
Il s’agit de la position du BOFiP (BOI-BIC-RICI-10-10-10-25, §100) :
« Dès lors qu’une opération est qualifiée de R&D, l’ensemble des travaux scientifiques et techniques indispensables à sa réalisation est considéré comme de la R&D, y compris dans le cas où ces travaux scientifiques et techniques, s’ils étaient pris isolément, ne constitueraient pas de la R&D. Sont considérées comme indispensables à la réalisation d’une opération de R&D les activités scientifiques et techniques qui participent à la création de connaissances et qui sont réalisées par des personnels de recherche […] ». Ainsi, si les deux sous projets (baptisés ainsi par l’administration rappelons-le !) ne sont pas éligibles pris isolément mais sont en lien et indispensables aux deux autres éligibles, alors ils sont éligibles.
À titre d’exemple, la fabrication d’un prototype par des ouvriers, prise isolément, constitue une activité non-éligible : ils suivent un plan de montage. Mais rattachées à un projet éligible, ces activités sont éligibles.
Cette doctrine est trop souvent ignorée en contrôle fiscal. On voit, en effet, régulièrement des contrôles dans le cadre desquels des projets sont segmentés en sous-parties et analysés individuellement.
Pour plaider l’indissociabilité de sous-projets dans le cas où seule une partie serait considérée comme éligible, il est donc important d’être en mesure de démontrer qu’ils sont liés entre eux par leur caractère nécessaire ou indispensable à la réalisation des activités éligibles.