[CIR] La Cour des Comptes recommande une adaptation du CIR au bénéfice des agriculteurs innovants
La Cour des Comptes a publié un rapport ce mardi 25 février évaluant la politique d’innovation française en matière agricole.
Elle tire le constat d’une forte culture de l’innovation au sein des structures agricoles françaises, qui sur un échantillon de 1005 chefs d’exploitation ont été plus de 85% à confirmer intégrer régulièrement des mesures innovantes dans leurs exploitations.
La politique d’innovation française en matière agricole vise à la fois à favoriser la performance économique des exploitations françaises via une augmentation de la productivité et du rendement, notamment en vue de garantir la compétitivité de nos filières agricoles sur la scène internationale, sans oublier pour autant de promouvoir la transition environnementale des systèmes de production agroalimentaires français, enjeu essentiel pour une agriculture plus viable et plus durable. Elle fait partie des priorités françaises pour la réussite de la « troisième révolution agricole » du pays, et a pour cela bénéficié d’environ 6,7 milliards d’euros investis en soutien à l’innovation agricole entre 2018 et 2023.
Ce que les exploitants agricoles français recherchent au travers de l’innovation, ce sont de nouveaux moyens de se prémunir contre les aléas et dérèglements climatiques, de réduire leur charge et pénibilité au travail et d’améliorer le rendement de leurs structures, sans pour autant impacter l’équilibre de la biocénose ou encore la qualité de leurs cultures. Les agriculteurs français accordent également une attention de plus en plus croissante à la prise en compte des enjeux écologiques dans la gestion de leurs exploitations.
Néanmoins, le secteur agricole étant caractérisé par son exploitation du vivant, la mise en place d’innovations se trouve en conséquence plus risquée que dans d’autres secteurs menaçant les rendements et surtout l’équilibre et la collaboration entre le biotope et la biocénose locale. En effet, en raison des différences entre les zones géographiques, tant termes de composition des sols que de climat, l’introduction d’une innovation se fait sans garantie et l’exploitation agricole sert ainsi de « testeur grandeur nature », selon la Cour des comptes. Les exploitants agricoles font par ailleurs face à des freins structurels, en partie liés aux oppositions des acteurs de la filière (fournisseurs d’équipements, etc…) qui perçoivent l’innovation comme une menace sur la viabilité long-terme de leurs modèles économiques, et font barrage à l’introduction d’innovations de rupture telles que l’agroécologie.
Face à ces risques, les agriculteurs sont à la recherche de soutiens financiers directs et déplorent un soutien étatique à l’investissement « mal ciblé » et « peu lisible ». En effet, la Cour des comptes souligne, dans les résultats de son enquête, des conditions d’éligibilité disparates, des divergences entre régions, et surtout une difficulté d’accès aux crédits d’impôts recherche et innovation ou allégements de charges sociales rattachés au statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI).
Pour pallier ces obstacles, la Cour des comptes appuie sur la nécessité de renforcer la formation et l’accès des exploitants agricoles au conseil stratégique, qui contrairement au conseil technique, est peu développé dans le secteur. Les agriculteurs qui y ont recours témoignent d’un taux de satisfaction de 90%, et la Cour des comptes précise qu’il est important que les politiques publiques incitent les agriculteurs à se tourner vers le conseil. Elle enjoint au ministère de l’Agriculture de fournir une feuille de route pour organiser l’accès des agriculteurs au conseil, en complément de son Instrument stratégique du Programme national de développement agricole et rural (PNDAR). Elle recommande en outre une adaptation du Crédit d’Impôt Recherche (CIR) et du statut de Jeune Entreprise Innovante (JEI) aux spécificités du secteur agricole.
La Cour des comptes constate toutefois que l’Agritech française, qui regroupe des acteurs innovants à la jonction de l’agriculture et de la technologie au service de la performance, profite d’une position privilégiée dans la compétition internationale. Elle met en garde contre les cloisonnements persistants entre acteurs historiques et nouveaux acteurs, la mise en place complexe d’expérimentations pour tester les innovations en conditions réelles et la lenteur du traitement administratif des dossiers d’autorisation de mise sur le marché, obstruant l’accès des entreprises aux marchés cibles.
La Cour des comptes conclut par sept recommandations de politiques publiques, telles que listées ci-après :
- Adapter le Crédit d’Impôt Recherche et le statut de jeune entreprise innovante aux spécificités du secteur agricole
- Privilégier les mesures de type « système » sur le modèle des mesures agro-environnementales et climatiques en passant progressivement à une obligation de résultat
- Cibler les aides du programme national de développement agricole et rural sur les innovations transformantes
- Définir les missions du réseau des chambres d’agriculture en matière de conseil à l’occasion du bilan du contrat d’objectifs et de performance
- Augmenter significativement la participation des entreprises innovantes dans les unités et réseaux mixtes technologiques
- Généraliser l’accès des entreprises innovantes à l’expérimentation agricole des trois réseaux agricoles – instituts techniques agricoles, chambres d’agriculture et institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement – à travers le dispositif Link’Expé
- Renforcer l’information et l’accompagnement des petites entreprises innovantes sur les procédures d’autorisation de mise sur le marché et réduire les délais
L’innovation agricole apparait donc, selon la Cour des comptes comme un levier stratégique de compétitivité et de transformation des exploitations agricoles, et l’adaptation du CIR aux enjeux du secteur sera déterminant dans la faculté des exploitants agricoles à rester compétitifs. Pour ce faire, il est crucial que les exploitants agricoles aient recours à des conseillers experts, aptes à les accompagner dans leurs démarches de financement et à les accompagner face aux éventuelles évolutions réglementaires qui suivront la publication de ce rapport.