[Jurisprudence CIR] Un contrat de prestation peut-il être pris en compte en tant que dépense de sous-traitance lorsque le paiement n’a pas été réalisé lors de l’année considérée ?
Dans un arrêt Neomerys du 29 juillet 2024, la Cour administrative d’appel de (CAA) de Toulouse rend un jugement qui va à l’encontre d’une jurisprudence ancienne, en considérant que ne pouvaient pas être prises en compte comme des dépenses de sous-traitance les sommes relatives aux contrats de prestations pour lesquels il n’était pas prouvé que des paiements avaient bien été effectués pendant l’année de CIR considérée.
Les faits
La société requérante, qui exerce une activité de recherche et de développement en biotechnologies, demande la restitution du CIR qui a été remis en cause par l’administration fiscale à raison de dotations aux amortissements d’immobilisations et de dépenses de sous-traitance.
Le jugement de la Cour
En ce qui concerne les dotations aux amortissements
L’administration fiscale a refusé le remboursement des dépenses correspondant aux dotations aux amortissements d’immobilisations, dont la nature n’est pas détaillée.
La société requérante se prévaut de l’article 236 du code général des impôts (CGI) pour soutenir qu’elle a droit à la prise en compte dans son CIR des dotations aux amortissements des immobilisations de ses dépenses de recherches, constituées en vertu d’une décision de gestion prévue par cet article.
L’article 236 CGI prévoit que, pour l’établissement de l’impôt sur le revenu ou de l’impôt sur les sociétés, « les dépenses de fonctionnement exposées dans les opérations de recherche scientifique ou technique peuvent, au choix de l’entreprise, être immobilisées ou déduites des résultats de l’année ou de l’exercice au cours duquel elles ont été exposées (…) ».
Cet article a pour objectif d’aligner le traitement fiscal des dépenses de fonctionnement exposées au titre de ces opérations à la règle comptable.
L’article R.123-186 du code du commerce précise que ces frais ne peuvent être inscrits à l’actif du bilan que s’ils se rapportent à des projets nettement individualisés « ayant de sérieuses chances de rentabilité commerciale ».
Dans le cas d’espèce, la Cour juge qu’il n’est pas prouvé que les dépenses de développement immobilisées par la société requérante se rapportent à des projets nettement individualisés ayant de sérieuses chances de réussite technique au sens du 1 de l’article 212-3 du plan comptable général, eu égard notamment à l’absence de précisions quant à la faisabilité technique de ses projets de recherche.
De plus, la facture produite par la société, dont le prix de vente est hors de proportion avec la valeur des immobilisations en question et dont la désignation des éléments cédés ne comporte pas de tels intitulés, ne prouve pas que la cession concernerait les immobilisations en litige.
Dans ces conditions, la Cour juge qu’il ne résulte pas de l’instruction que les immobilisations litigieuses satisfont la condition tenant à ce que les dépenses de recherche se rapportent à des projets présentant de sérieuses chances de rentabilité commerciale, prévue par les dispositions de l’article R. 123-186 du code de commerce et de l’article 212-3 du plan comptable général.
En ce qui concerne les dépenses de sous-traitance
L’administration fiscale a refusé d’inclure dans l’assiette du CIR de la société pour 2019 les dépenses de sous-traitance correspondant à des contrats et prestations pour lesquels il n’était pas prouvé que des paiements avaient bien été effectués en 2019.
Premièrement, deux contrats de sous-traitance d’opérations de recherche ont été conclus en décembre 2019 avec l’Institut national de la recherche agronomique et le Centre national de la recherche scientifique. Ils prévoyaient le versement d’un premier acompte par la société requérante au moment de leur signature, les dépenses correspondantes ayant été admises dans l’assiette du crédit d’impôt recherche au titre de l’année 2019 par le service.
Ils prévoyaient également des versements à échéances ultérieures, à savoir à douze et vingt-quatre mois pour le premier contrat, et en fonction de l’avancement des travaux pour le second.
La Cour juge que la société ne produit pas d’élément permettant de démontrer que ces derniers versements ont bien été effectués en 2019, contrairement à ce qu’indique les contrats.
Enfin, concernant d’autres dépenses de sous-traitance, la Cour juge que la seule production de factures émises par les organismes sous-traitants le 10 octobre 2019 et le 12 décembre 2019 ne suffit pas à justifier que les dépenses correspondantes aient été payées au titre de l’année 2019.
Analyse au sujet des dépenses de sous-traitance
La CAA de Toulouse est particulièrement sévère sur le sujet des dépenses de sous-traitance. Il est en effet étonnant que les juges s’attachent à vérifier que les paiements aient bien eu lieu.
Au contraire, un arrêt de la CAA de Versailles en date du 30 décembre 2014 avait jugé que, pour les organismes agréés, les sommes facturées aux donneurs d’ordre devaient être déduites, même lorsqu’elles n’avaient pas été payées au cours de l’année en question.
Cela signifie donc, parallèlement, que les dépenses peuvent être prises en compte par les donneurs d’ordres.
Les juges avaient alors considéré que les règles de calcul du CIR étaient celles d’une comptabilité d’engagement (CAA Versailles, n°14VE00810, 30 décembre 2014, SCP Coudray-Ancel).
Il sera par conséquent intéressant de surveiller l’interprétation qu’adopteront les juges à l’occasion des prochains litiges sur le sujet, sachant que seule une intervention du Conseil d’État serait à même de départager définitivement les deux visions divergentes.