[Europe] Compétitivité européenne : la Commission trace une nouvelle feuille de route

Loin d’être un simple exercice de prospective, cette initiative répond à un constat alarmant : l’Europe peine à transformer son potentiel en croissance durable. L’innovation reste cloisonnée, les entreprises souffrent de lourdeurs administratives et le coût de l’énergie pèse sur la production. Les anciens moteurs de sa croissance, une énergie fossile largement disponible, un système commercial ouvert et une stabilité géopolitique pérenne, sont aujourd’hui remis en question. La Commission veut agir en priorité sur trois axes : combler le retard d’innovation, renforcer l’autonomie stratégique et concilier transition écologique et compétitivité.

Premier pilier de cette nouvelle stratégie : la protection de l’économie européenne. L’Union européenne veut investir massivement dans son industrie de défense et ses infrastructures critiques, deux secteurs où elle dispose d’atouts, mais qui souffrent d’un sous-investissement chronique.

Dans le domaine de la défense, l’Europe dispose d’acteurs compétitifs au niveau mondial, mais son marché reste fragmenté et tourné vers des logiques nationales. La Commission plaide pour une coordination accrue entre États membres, via des mécanismes de passation conjointe des marchés et une mutualisation des ressources en recherche et développement.

Le renforcement des infrastructures critiques constitue un autre chantier clé. Le changement climatique impose de réhausser les standards de résilience pour garantir la sécurité des réseaux énergétiques, de transport et numérique. La Commission entend répondre par un plan d’adaptation au changement climatique et une stratégie de résilience pour l’eau, visant à intégrer la gestion des risques dès la conception des infrastructures. Alors que deux tiers des besoins énergétiques européens reposent sur des importations, Bruxelles souhaite réduire sa dépendance et moderniser ses infrastructures électriques. Elle prévoit pour cela deux initiatives majeures : un plan d’action pour une énergie abordable, misant notamment sur un nouvel ajustement carbone aux frontières, et un plan pour l’électrification des réseaux européens.

L’UE reste un acteur majeur du commerce international, mais elle entend mieux se protéger contre certaines pratiques jugées déloyales. La Commission veut durcir sa politique face aux stratégies d’exportation agressives, réviser les instruments de défense. Elle plaide également pour une modernisation du cadre de l’OMC et une application stricte du règlement sur les subventions étrangères.

Par ailleurs, Bruxelles veut renforcer la souveraineté économique européenne, notamment à travers une politique de préférence européenne dans les marchés publics des secteurs stratégiques, qui représentent 14 % du PIB de l’UE. Une plateforme d’achat commun de matières premières critiques devrait voir le jour pour limiter la dépendance aux fournisseurs extérieurs.

Dans le même temps, l’Union cherche à diversifier ses alliances commerciales. Déjà liée à 76 pays par des accords de libre-échange, elle négocie de nouveaux traités avec le Mercosur, le Mexique et les pays méditerranéens pour sécuriser son accès aux matières premières et accélérer les investissements dans les énergies propres. Des accords spécifiques sur le commerce numérique sont également en cours avec la Corée du Sud et Singapour.

L’Europe dispose d’une forte capacité d’innovation, mais elle peine à convertir ses avancées technologiques en succès industriels et commerciaux. Si la part des brevets européens est comparable à celle des États-Unis et de la Chine, seul un tiers des brevets enregistrés par des universités européennes trouvent une application commerciale.

Pour inverser cette tendance, la Commission veut renforcer les liens entre recherche et industrie et soutenir les jeunes entreprises technologiques. L’intelligence artificielle, encore peu adoptée par les entreprises européennes (13 % seulement l’utilisent selon Eurostat), fait l’objet d’une attention particulière. Alors que 70% de la valeur créée dans l’économie mondiale sur les dix prochaines années reposera sur les technologies numériques selon le Forum Economique Mondial, un Acte législatif sur les réseaux numériques est en préparation pour faciliter les investissements dans les infrastructures numériques de pointe.

Autre frein majeur : la charge administrative et réglementaire. Deux tiers des entreprises européennes estiment qu’elle constitue le principal obstacle à l’investissement à long terme et à l’attractivité de l’UE. Pour y remédier, Bruxelles prévoit :

  • Une réforme Omnibus, qui simplifiera le corpus réglementaire européen, accompagné d’un 28e régime juridique proposant une refonte du droit des sociétés, de l’insolvabilité et du travail,
  • Une accélération dans les démarches d’obtention de permis pour les industries en transition,
  • La numérisation des démarches réglementaires pour alléger la charge administrative.

Enfin, la Commission veut diversifier les sources de financement des industries européennes, marquées par une dépendance certaine au financement bancaire, limitant la prise de risque. Alors que 52 % des fonds de capital-risque mondiaux sont investis aux États-Unis et 40 % en Chine, l’Europe n’en capte que 5 %. Bruxelles envisage donc de développer une véritable Union des marchés de capitaux pour attirer davantage d’investissements privés et portera son objectif de dépenses R&D à 3% du PIB des Etats membres.

Le marché unique européen, qui compte 23 millions d’entreprises et 450 millions de consommateurs, reste un atout considérable. Pourtant, son intégration marque le pas : en 2023, la part des échanges intra-européens a reculé pour les biens (23,8 %) et les services (7,6 %).

Pour renforcer l’intégration économique, la Commission veut créer un nouvel outil de compétitivité pour mieux coordonner les investissements stratégiques. Un Fonds européen pour la compétitivité devrait voir le jour, combinant plusieurs programmes existants pour éviter la dispersion des financements. La Banque Européenne d’Investissement (BEI) devrait aussi accroître son recours aux instruments financiers pour financer des projets à haut risque.

Enfin, le marché du travail est un autre levier clé de la compétitivité. Malgré un taux de chômage historiquement bas de 6,1 % en 2023, l’Europe souffre d’un non-alignement entre les compétences disponibles et les besoins des entreprises. La Commission propose de :

  • Créer une Union des compétences, qui facilitera la formation et la mobilité des travailleurs,
  • Attirer des talents qualifiés venant de pays tiers,
  • Lever les obstacles à l’emploi pour les jeunes, les femmes et les seniors, notamment via un plan pour des logements abordables et une meilleure coordination des systèmes de protection sociale.

Avec cette boussole de compétitivité, Bruxelles cherche à donner une nouvelle impulsion à son économie. Loin des stratégies industrielles américaines et chinoises, l’Europe mise sur la coopération, l’innovation et une politique commerciale plus affirmée.

Mais la réussite de ce plan dépendra de sa mise en œuvre effective et de l’adhésion des États membres. La compétitivité européenne reste un enjeu stratégique majeur. Reste à savoir si cette nouvelle feuille de route suffira à relancer la dynamique du Vieux Continent.

Sources :

https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/competitiveness-compass/#:~:text=L’objectif%20de%20la%20boussole,principaux%20concurrents%20de%20l’UE
https://france.representation.ec.europa.eu/informations/une-boussole-de-lue-pour-regagner-en-competitivite-et-garantir-une-prosperite-durable-2025-01-29_fr
https://commission.europa.eu/document/download/10017eb1-4722-4333-add2-e0ed18105a34_en